« Contre l’État », de Tom THOMAS (éditions critiques)

Ce texte a été rédigé dans le cadre d’un groupe de travail de l’Union Pour le Communisme consacré au thème de l’État. Il s’agit d’une synthèse de l’ouvrage « Contre l’Etat » de T. Thomas, qui en reprend les grandes lignes et les idées fortes, et qui est dénué de commentaire de notre part. Compte tenu de la qualité du livre écrit par T. Thomas, il nous a semblé intéressant de la publier.

Derrière un titre sans ambiguïté, se cache un livre succinct et efficace. L’idée principale exposée ici par Tom Thomas, camarade que nous avons invité par le passé dans le cadre de l’association Table Rase, est celle du fétichisme de l’État qui explique la prépondérance de cette institution dans les revendications de la gauche réformiste.

Au début de son ouvrage, T. Thomas insiste sur la différence de nature entre l’État capitaliste actuel et les formes antérieures d’État (État antique, féodal etc.). Les rapports de production au sein du système capitaliste ont la particularité d’être basées sur de nombreuses médiations. L’État en société capitaliste va avoir pour rôle de garantir le bon fonctionnement de ces médiations. T. Thomas cite comme exemple le marché, médiation centrale dans le capitalisme, où l’État va intervenir pour assurer le respect des contrats, arbitrer les litiges ou protéger la propriété privée. Ces interventions de l’État sont décisives dans l’organisation du système bancaire et financier, et monétaire, dans le domaine juridique (lois, règlements, tribunaux) ou encore la politique extérieure, voire même la guerre. Ce rôle implique un État « séparé », autrement dit « une puissance politique séparée de la société civile », qui serait suffisamment « au-dessus » d’elle et neutre. D’où la fiction de l’intérêt général, comme si la somme des intérêts privés pouvait constituer un intérêt qui serait général ! L’auteur vient rappeler qu’en réalité le seul intérêt de l’État en société capitaliste est d’assurer la reproduction des classes sociales et la poursuite du processus d’accumulation du capital.

Un autre rôle joué par l’État est celui d’unificateur de la société, il vient ainsi contrebalancer le caractère clivant et morcelant de l’économie de marché. Cette unification passe principalement par deux mythes idéologiques : la Nation et le Citoyen.

T. Thomas explique que l’institution Étatique ne peut pas être réduite à un rôle répressif, et plus généralement à une ou des fonctions. L’État « séparé » répond à un mode de production spécifique, il est illusoire d’imaginer que confier les rênes de cet État à des représentants de la classe ouvrière engendrerait automatiquement un changement de ce mode de production. « Comme chez le dragon dont la tête coupée repousse toujours, il faut, pour changer la société, toucher l’État au cœur, en l’occurrence les rapports de production qui génèrent sa nécessité et ses fonctions ».

L’ouvrage effectue un détour historique pour revenir sur la phase de domination formelle du capital. Cette période est marquée par des États particulièrement coercitifs qui ont pour but d’augmenter au maximum le temps de travail des prolétaires et de diminuer les salaires (loi Le Chapelier, mise en place du livret ouvrier etc.) tout en réprimant les révoltes (Canuts à Lyon, 1848 à Paris etc.). La fin de cette période (sous Napoléon III et Bismarck) voit arriver les premières lois à vocation sociales destinées à assurer la reproduction de la force de travail et une multiplication des fonctions de l’État : colonisation, urbanisme, hygiénisme, travaux publics etc. C’est aussi le début de l’endettement et de la bureaucratisation.

Concernant la phase de domination réelle du capital, T. Thomas note que trop de critiques de gauche pendant cette période se focalisent sur la financiarisation de l’économie, la finance étant vu à tort comme extérieure au procès de production. Le consensus en faveur de la « croissance » et de l’emploi permet à l’État d’orienter les luttes dans le cadre de la co-gestion qui s’est mise en place avec l’État providence. « Le patron esquinte l’ouvrier, les services publics le requinque et ainsi de suite ». Nous assistons à une relative pacification des rapports de production, pour certains l’exploiteur ne serait plus le patron mais les nouvelles technologies. Enfin, T. Thomas souligne que l’État devient en plus en plus tentaculaire et interventionniste, et dans le même temps de plus en plus « séparé » de la société. Ceci explique qu’une partie de la classe ouvrière dirige son ressentiment contre les institutions plutôt que contre le capital.

Un passage du livre est consacré aux relations entre État et bourgeoisie. Les deux notions ne sont pas synonymes. Les contradictions entre l’intérêt collectif de la classe bourgeoise et les intérêts individuels de certains bourgeois conduisent l’État à prendre des décisions impopulaires à leurs yeux (par exemple une hausse de la fiscalité). Marx définissait l’État comme étant une sorte de conseil d’administration de la bourgeoisie. T. Thomas souhaite dépasser cette définition qu’il juge trop fonctionnaliste, proposant à la place : « l’État est le garant et l’organisateur de la reproduction du capital, c’est à dire de sa revalorisation ». Si la classe bourgeoise est la mieux placée pour défendre les intérêts du capital en dirigeant l’État, il arrive dans des circonstances conjoncturelles qu’un turn-over soit nécessaire dans cette optique, ne serait-ce que pour contrer les discours anti-élites. C’est ainsi que des « aventuriers », qu’il soient fascistes ou même parfois de gauche, ont pu prendre les rênes de l’État. Il arrive également que la bureaucratie donne priorité à sa propre reproduction plutôt qu’à celle du capital.

L’auteur revient sur le concept de fétichisme de la marchandise, sur la croyance répandue selon laquelle ce seraient les rapports entre marchandises qui décideraient de la marche de l’économie et non les lois de la valeur. Il établit un parallèle avec l’État qui fait lui aussi l’objet d’un fétichisme, l’intérêt général masquant son rôle de garant de la reproduction du capital. Il note au passage que l’écologie remplace désormais le social en tant que parangon de l’intérêt général.

Certains gauchistes victimes du fétichisme de la marchandise en appel à l’État pour réguler et limiter les dérives du marché. Si l’on pense que l’économie est régie par les rapports entre les objets marchands, il est logique de penser aussi que l’État doit améliorer ces dits rapports (en redistribuant les richesses plus équitablement au lieu de poser la question de la propriété des moyens de production par exemple).

A l’image du capitalisme, il est possible de parler d’ « État automate ». Quel que soit les politiciens à sa tête, l’action de l’État se renouvelle automatiquement et les décisions politiques n’ont des effets qu’à la marge.

La phase de domination réelle du capital a pour conséquence le « stade sénile du capital ». Les augmentations de la productivité ont conduit le capital à sa sénilité en diminuant drastiquement la quantité de travail productif de plus-value. Pour autant la domination réelle existe toujours et ne fait même que s’accentuer avec les NTIC (Cf l’ouvrage de T. Thomas « la face cachée des nouvelles technologies »), ce qui accentue cette sénilité (déliquescence de la valeur).

Dans ce contexte, le néo-libéralisme vient mettre en péril le fétichisme de l’État en prônant des cures drastiques d’austérité. En réalité, les États ont apporté deux réponses à cette situation :

– faire tourner la planche à billet, avec des prêts à taux réduit pour relancer l’économie, ce qui a conduit à des bulles financières et immobilières ;

– appuyer la bourgeoisie dans sa politique de baisse des salaires, de hausse du temps de travail, de développement de la précarité et de la flexibilité… afin d’augmenter l’extraction de plus-value dans sa forme absolue.

A l’opposé des thèses néo-libérales, les États restent interventionnistes et ne se limitent pas à servir d’États « gendarmes ». Des aides massives sont par exemple accordées aux entreprises. Mais cette intervention consiste de plus en plus en l’élaboration de réglementations destinées à lisser les impacts sociaux et environnementaux négatifs du capitalisme afin de le rendre plus acceptable aux yeux de ses « citoyens ». Cette inflation réglementaire entraîne des situations de blocage, où la réglementation s’applique au détriment de l’action (y compris l’action en faveur de la bourgeoisie). La gestion de la crise Covid en fut une belle illustration.

Le stade sénile du capitalisme se caractérise par un affaiblissement des organes de médiation par rapport aux soits disantes 30 glorieuses. Cet affaiblissement touche notamment les politiciens et les syndicats. Il contribue à creuser le vide entre l’État et ses « citoyens ». Les fétichismes de la marchandise et de l’État conduisent une grande partie de la classe ouvrière à réclamer un domestiquage de la finance (des banques, de l’UE, des 1 %, des grandes familles etc.) plutôt qu’une révolution qui s’attaquerait aux racines du problème social. Les idéologues du capital utilisent le concept de « populisme » pour dénigrer les prolétaires victimes de ces fétichismes. Pour autant, l’auteur rappelle qu’il ne faut pas sous-estimer le danger représenté par les politiciens qui affirment vouloir s’attaquer au système politique en place dans la lignée des Bonapartes et autres Boulangistes. Les revendications nationalistes viennent s’articuler aux revendications protectionnistes : il faudrait produire davantage de richesse nationale pour disposer de davantage de richesses à distribuer au peuple. Mais évidement, si tous les États du monde mettent en place une politique protectionniste, les effets attendus sur le commerce extérieur seront nuls. Nous retrouvons ici le mythe de la Nation.

L’auteur termine son analyse du stade sénile du capitalisme par un commentaire sur le mouvement des Gilets Jaunes. Face à un État de plus en plus « séparé », les GJ mettent en avant des revendications visant à réduire l’écart entre l’État et le peuple telles que le Référendum d’Initiative Populaire. Ces revendications semblent toutefois vaines sans remise en cause du mode de production capitaliste. C’est le mythe du Citoyen que nous retrouvons cette fois-ci.

La conclusion de l’ouvrage esquisse des perspectives en vue d’un « processus révolutionnaire communisant ». Il s’agit d’être volontariste sans être incantatoire (« les classes ne s’abolissent pas par décret »). Pour T. Thomas, le chômage et la précarité doivent devenir des opportunités en dégageant du temps libre permettant de s’éduquer, de s’organiser, de lutter… et de créer une nouvelle forme de communauté (« l’intellect général » de Marx) où l’intérêt collectif ne serait pas séparé des intérêts individuels.

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