Entre la pandémie et la Présidentielle aux USA, la situation en Côte d’Ivoire est passée largement inaperçue. Elle mérite pourtant un minimum d’attention. Ouattara a été réélu le 31 octobre dernier Président pour la troisième fois consécutive à l’issue d’une élection boycottée par l’opposition. Ouattara a en effet modifié la constitution pour pouvoir se présenter à nouveau, en vertu de l’adage « on est jamais mieux servi que par soi-même ». Depuis le 10 août, date de l’annonce de sa candidature, des affrontements ont fait 85 morts et près de 500 blessées selon les chiffres officiels.
Pour les médias dominants français, il s’agit de « troubles politiques qui ont dégénéré en affrontements inter-communautaires« . La situation est ainsi réduite de façon ignoble à des conflits ethniques et religieux, à des « guerres tribales coutumières chez les africains ». Pourtant, il suffit de se pencher sur l’histoire récente de la Côte d’Ivoire pour se rendre compte que la situation est un épisode de plus de la Françafrique, version hardcore de l’impérialisme français à base de coopération militaire, d’ingérence politique et d’exploitation économique qui est aussi à l’œuvre en Guinée, au Mali ou au Tchad.
La Côte d’Ivoire fait partie du « pré carré » du néo-colonialisme bleu blanc rouge, les multinationales du CAC 40 ont une importance primordiale dans l’économie locale (Bouygues, Vinci, Accor etc.) tandis que l’armée tricolore y a implanté une base militaire stratégique à Port-Bouet. Pendant longtemps, la Côte d’Ivoire a été présenté comme un pays prospère en train de sortir du « sous-développement » (le « mirage ivoirien« ) alors qu’elle connaît en réalité une économie de rente classique basée sur les exportations (de cacao notamment). L’entreprise française Bolloré, spécialisée dans la logistique maritime, tient dans ce contexte un rôle majeur en matière commerciale en exportant une bonne partie de la production ivoirienne. L’imposant chantier de construction du métro d’Abidjan a quant à lui été confié en 2019 à un groupement d’entreprises françaises. Pour compléter le tableau, ajoutons que la présence d’hydrocarbures sur le littoral aiguise les appétits des multinationales du monde entier et les litiges frontaliers avec les pays voisins.
La France a colonisé la Côte d’Ivoire en 1893 avant de mettre en place un État fantoche à l’indépendance du pays en 1960. Depuis plusieurs décennies, la Côte d’Ivoire est la victime de luttes entre fractions du patronat et de la droite française, dont le point culminant a été la crise de 2004 où l’armée tricolore a tiré dans la foule à Abidjan. Avant de devenir le principal opposant à Ouattara, Bédié – grand ami de Chirac – a été Président de Côte d’Ivoire jusqu’en 1999. Il fut destitué par un coup d’État suite à un scandale de corruption. Précisons aussi qu’il commençait à être sensible aux sirènes d’entreprises anglaises et néerlandaises qui s’intéressaient à de juteux marchés publics acquis par avance aux Bouygues et consorts. Enfin, Bédié est le développeur du particulièrement nauséabond concept xénophobe d' »ivoirité« , qui fut repris ensuite également par Gbagbo pour disqualifier Ouattara.
La Présidence de Gbagbo qui a suivie dans les années 2000 fut marquée par ses relations plus que tumultueuses avec la France. L’État français a fini par soutenir l’opposant Ouattara – grand ami de Sarkozy, Bouygues et Bolloré – y compris militairement. En 2004, le bombardement d’un camp militaire français, dont il est présumé qu’il a été accompli par un avion de l’armée ivoirienne pro-Gbagbo, a conduit l’armée française a détruire la totalité de la flotte aérienne du pays en réponse. Les manifestations spontanées qui ont suivies ont été réprimé dans le sang par les hélicoptères de guerre au service du maintien de l’ordre à la française, faisant plus d’une soixantaine de morts. Bédié et Ouattara ont été allié par la suite en 2005 pour faire front commun face à Gbagbo… avant d’être aujourd’hui adversaires. En 2010, il aura fallu une nouvelle intervention militaire française pour que Gbagbo quitte définitivement le pouvoir et que Ouattara finisse par s’en emparer. Soulignons que les partisans de Gbabo comme de Ouattara n’auront pas été avares de massacres chez les civils durant les décennies 2000 et 2010.
Macron a adressé une lettre de félicitation à Ouattara suite à son élection litigieuse face à Bédié, mais son gouvernement a appelé ce 13 novembre au calme et à la réconciliation nationale. Ou comment soutenir Ouattara tout en lui rappelant qu’il doit rester fidèle à son maître et veiller à maintenir l’ordre, les conflits n’étant pas bon pour les affaires quand ils durent trop.
De notre côté, nous pensons que les populations de Côte d’Ivoire seront perdantes dans tous les cas de figure. Les prolétaires sont pris en otage par les deux camps, division qui est (au-delà des rivalités « communautaires ») surtout le reflet de luttes fratricides au sein d’une bourgeoisie locale soumise aux intérêts économiques des entreprises françaises. Pour l’émancipation du prolétariat en Côte d’Ivoire comme dans le reste du monde, la solidarité internationale est une valeur fondamentale de la classe ouvrière qu’il nous faut faire revivre pour espérer mettre fin à la Françafrique.
Pour aller plus loin : Cf le livre « Un pompier pyromane » de R. Granvaud et D. Mauger aux editions Agone/Survie.