Cela fait maintenant presque trois semaines que des affrontements violents ont lieu dans de nombreuses villes des États-Unis. La révolte atteint une intensité inégalée depuis les émeutes de Los Angeles en 1992, voire les émeutes ayant suivi l’assassinat de Martin Luther King en 1968. Une trentaine de villes américaines ont ainsi connu des émeutes spectaculaires (Minneapolis, Atlanta, Chicago, Cincinnati, Columbia, Columbus, Dallas, Denver, Harrisburg, Indianapolis, Jacksonville, La Mesa, Lincoln, Los Angeles, Madison, Miami, New York, Oakland, Philadelphie, Portland, San Antonio, San Francisco, Seattle, Toledo, Washington, etc..)
Dans 25 d’entre elles des couvres-feux ont été mis en place et la garde nationale a été déployée dans plusieurs États.
L’élément déclencheur des émeutes a été le meurtre brutal de George Floyd, un prolétaire noir assassiné par asphyxie par un policier lors de son interpellation au motif d’une suspicion d’utilisation d’un faux billet de 20 dollars.
À travers ce meurtre, c’est une contradiction majeure du capitalisme aux États-Unis (mais pas seulement aux USA comme nous le verrons) qui est brutalement révélée : le racisme.
L’épidémie du coronavirus, particulièrement virulente aux USA ( plus de 110 000 décès au 8 juin 2020 ), a également été une démonstration violente de cet état de fait – les communautés noires, hispaniques et natives (dites « amérindiennes ») ayant été beaucoup plus touchées que les Blanc·hes durant la crise sanitaire.
Cela n’a rien d’étonnant dans un pays dans lequel 28 millions de personnes n’ont aucune couverture sociale. L’ampleur de l’épidémie s’explique également par les maladies facteurs de risques et le pourcentage d’emplois à risque chez les populations non-blanches aux USA.
La révolte actuelle trouve également un terreau favorable dans la situation sociale désastreuse que subit le prolétariat américain depuis la crise de la COVID-19. Environ 24 millions de travailleur·ses américain·es pointent au chômage aujourd’hui. Ce qui est inédit depuis la crise économique de 1929. Comme alors, la crise frappe avec plus de violence les travailleur·ses non qualifié·es ayant des emplois précaires, lesquel·les sont souvent racisé·es.
Le racisme est actuellement un élément central du mode de production capitaliste, il est basé sur un ensemble de discriminations institutionnelles (à travers la justice, la police, l’accès au logement, au soin et à l’éducation) et une division du travail largement racialisée qui consacre les emplois les plus faiblement rémunérés et les plus difficiles aux personnes non-blanches et aux femmes, le genre étant également un élément central du fonctionnement du mode de production capitaliste.
Aux États-Unis, l’origine de l’oppression des Noirs se trouve dans le développement de rapports d’exploitation esclavagistes, les anciens esclaves devenus prolétaires ou petits paysans après la Guerre de Sécession subissant depuis lors une oppression spécifique par rapport aux autres travailleur·ses.
En France, ainsi que dans les autres pays occidentaux, le racisme est également au centre des rapports d’exploitation et de domination capitalistes, et les violences policières qui en découlent entretiennent une guerre sociale de basse intensité permanente dans les banlieues où sont reléguées les prolétaires racisé·es. Le rôle de la police dans la société capitaliste est de maintenir l’ordre social en place, c’est a dire les conditions d’exploitation nécessaires à la reproduction de la société. Le racisme étant fonctionnel de l’exploitation, il est donc logique que la police adopte une attitude raciste.
D’autre part, on peut également constater que de plus en plus de prolétaires blanc·hes sont poussé·es à la révolte à cause du tourbillon de précarité dans lequel les entraîne la crise globale du capitalisme. Ils et elles finissent par subir à leur tour la violence de plus en plus brutale de la police. On l’a vu en France lors du mouvement des gilets jaunes, où des prolétaires majoritairement blanc·hes ont été réprimé·es avec une vigueur que l’on avait vu jusqu’ici réservée aux banlieues.
La révolte aux États-Unis frappe par la diversité de ses participant·e·s au niveau racial : ce ne sont plus seulement des émeutes noires comme cela était le cas à Watts en 1967 ou même à Ferguson en 2014. La participation de membres d’autres minorités est importante: Latino·as, Asiatiques, Natif·ves.
Il y a également de nombreux Blanc·hes parmi les manifestant·e·s, ce qui fait dire à la Maison Blanche que les «anarchistes» et «antifa» sont à la manœuvre. Si cela est exagéré à des fins de propagande droitière, il est possible que cela relève d’une certaine radicalisation de la part de certain·es progressistes blanc·hes qui ne reculent plus désormais devant l’action directe.
La société américaine semble se cliver politiquement de plus en plus entre la partie fascisante du pays qu’incarne le sinistre clown-président qu’est Trump et une partie «progressiste» de plus en plus radicale. Le succès de la candidature du social-démocrate Bernie Sanders, écrasée par les manœuvres de la bourgeoisie démocrate, a révélé cette relative radicalisation de la gauche américaine.
Deux processus politiques semblent ainsi à l’oeuvre aux Etats-Unis : faillite d’une perspective réformiste bloquée par la bourgeoisie démocrate d’une part ; radicalisation sans fin du bloc conservateur blanc incarné par Trump et travaillé au corps par l’extrême-droite suprémaciste et masculiniste d’autre part. Ce bloc de droite n’hésite pas à organiser des manifestations armées en faveur d’une reprise coûte que coûte de l’économie américaine malgré l’ampleur de la pandémie de COVID-19, démontrant encore une fois le mépris qu’il a pour la vie humaine, particulièrement pour celle des personnes non-blanches. Sur les forums en ligne perméables à ces tendances (à l’image de 4chan), le fantasme de la guerre raciale, d’une seconde guerre de sécession, ne cesse d’être mis en avant, encouragé par les appels du pied de Trump aux obsessions des fascistes américains.
Si le soulèvement des minorités raciales et des progressistes se poursuit aux États-Unis, il devra faire face a des problématiques spécifiques au contexte états-unien.

Le gigantisme de l’appareil répressif d’État
La bourgeoisie américaine a choisi, particulièrement après la mise en place du néolibéralisme dans les années 80, de délaisser les autres aspects de son système de reproduction sociale au profit d’un monstrueux appareil militaro-policier-carcéral.
Les États-Unis sont le premier pays en terme de taux d’incarcération dans le monde, les prisons américaines comptant 2 145 100 personnes en 2016, soit un taux d’incarcération de 666 personnes pour 100 000 habitants.
Les chiffres provenant du Bureau de Travail Américain évoquent un total de 794.300 policiers en 2010, soit un policier pour 256 habitant·e·s – selon Interpol, la France comptait en 2012 quelque 220.000 officiers de police sur l’ensemble du territoire, soit un policier pour 356 personnes.
La police américaine dispose en outre de nombreux drones, de véhicules blindés, d’équipement anti-émeutes à ultrasons et même de robots tueurs, équipements souvent issus de surplus militaires.
La militarisation de la police a accompagné d’abord «la guerre contre la drogue» qui a essentiellement ciblé les populations afro-américaines et hispaniques puis elle s’est poursuivie à la faveur de la « guerre contre le terrorisme»
L’armement important de la partie réactionnaire blanche de la population.
Dans plusieurs villes on signale des incidents liés aux milices d’extrême droite du type de celle ayant organisé les manifestations contre le déconfinement.
Comme dans d’autres pays touché par des révoltes actuelles (Chili, France au moment des gilets jaunes, Haïti, Irak, Iran, Équateur..), la révolte s’explique en partie par une crise de la reproduction.
C’est à dire que le capital et son appareil d’État tendent à ne plus assurer les conditions d’existence vitale du prolétariat, les conditions de reproduction sociale de la force de travail.C’est pourquoi dans le cycle actuel de la lutte des classes, les principales révoltes prennent souvent la forme d’une lutte contre l’État qui n’assument plus sa mission passée de reproduction sociale (privatisation des services publics, baisse des budgets alloués à la santé et à l’éducation, baisse des aides au logements, etc..) et tend de plus en plus a se consacrer à la répression pour maintenir l’ordre capitaliste. De plus les conditions économiques, liées à la baisse tendancielle du taux de profit et maintenant à la crise du coronavirus, créent des millions de surnuméraires condamné·es à subsister dans les marges de la société capitaliste.
Cela constitue un facteur d’instabilité pour le fonctionnement global de la société capitaliste et renforce la volonté de mettre en place des politiques sécuritaires.
Pour atteindre un saut qualitatif et passer au stade de l’insurrection prolétarienne, il faudrait que les révolté·es américains s’emparent non seulement des moyens de consommation (tel que cela se déroule durant les pillages) et qu’ils continuent d’attaquer l’État, en particulier son appareil répressif pour le mettre hors service mais également qu’ils et elles s’auto-organisent au sein d’un nouveau pouvoir révolutionnaire (assemblées de quartiers et de villes par exemple, comme durant la Commune de Paris ou la révolution russe) et qu’ils et elles s’emparent des moyens de production.
Mais nous n’en sommes pas là, et ici comme ailleurs nous en sommes même encore très loin. En dépit du caractère spectaculaire des affrontements en cours, seuls ces éléments permettraient de considérer que nous passions du soulèvement à l’insurrection prolétarienne, voire à la révolution sociale.
Cela n’empêche pas que l’élan de révolte qui souffle sur le monde depuis 2018-2019 trouve un nouvel écho au cœur même de l’impérialisme.
Cela nous rempli d’espoir et ouvre des perspectives prometteuses pour la lutte des classes à l’échelle mondiale.
De France où les ravages du capitalisme et du racisme sont également de plus en plus violents, nous saluons la grande révolte américaine face au racisme d’état et à la police !Ici comme ailleurs organisons nous pour l’autodéfense prolétarienne face au racisme d’État et aux crimes policiers !
Vive la révolution mondiale !