POUR UNE GESTION INTERNATIONALE DES CATASTROPHES, POUR UN CONTRÔLE OUVRIER SUR LA PRODUCTION
Estimée à 0,6% d’après les résultats de la politique de tests à grande échelle pratiquée en Corée du Sud, le taux de létalité du virus covid 19 ne nous dit en fait rien de la dangerosité qu’il acquiert en fonction de l’organisation sociale dans laquelle il se développe. En particulier, il ne nous dit rien de sa dangerosité lorsque les mesures de distanciation sociales sont mises en échec par l’impératif de continuité de la production capitaliste : même en s’en tenant à ce taux de 0.6%, ce virus provoquerait 180 000 morts rien qu’en France s’il devait contaminer 60% de la population. Il ressort également de l’exemple italien que le niveau de mortalité associé à ce virus est fortement dépendant de la possibilité d’une prise en charge sanitaire adéquate des cas les plus graves : lorsque les services publics sanitaires sont engorgés ou inexistants, ce taux augmente considérablement. La pandémie de Covid est donc au premier chef une conséquence de l’organisation capitaliste de la production, face à laquelle deux nécessités vitales émergent : la gestion internationale désintéressée, et le contrôle ouvrier sur la production.
Seul le mouvement ouvrier est en mesure de mettre en œuvre des mesures allant en ce sens – et qui sont devenues une nécessité vitale pour toute la population.
La nécessité d’une gestion internationale
Le coronavirus n’a pas connu de frontière. Son degré de transmissibilité est élevé, mais le niveau de cette transmissibilité a encore été aggravé par la situation internationale. L’antagonisme entre les grandes puissances capitalistes et ses conséquences : l’absence ou le peu d’allocation internationale de l’aide, la perturbation de la circulation de l’information sur les dangers de la pandémie ont certainement contribué à la diffusion internationale de la pandémie.
De manière générale, la répartition inégale des ressources à travers la planète aura des conséquences sanitaires désastreuses dans les pays du Sud, et qui ne manqueront pas de se rappeler aux grandes puissances capitalistes en constituant des foyers de renouvellement de l’épidémie. Si certains gouvernements du Sud (Rwanda, Afrique du Sud, Congo-Brazzaville, Zimbabwe) ont adopté, plus tôt que certaines grandes puissances, des mesures de confinement des populations, celles-ci seront dépourvues d’effet là où les conditions matérielles d’existence empêchent la distanciation sociale : dans les métropoles et mégalopoles comme dans les campagnes, avec la suroccupation des logements, l’existence de bidonvilles, les problèmes de raccordement aux réseaux d’eau potable, l’existence d’un important secteur informel qui garantit les ressources de base d’une partie de la population et doit, pour cela, continuer à fonctionner, la défaillance des services hospitaliers et la pénurie de certains médicaments. A ce titre, certaines épidémies régionales, comme le paludisme, verraient leurs effets renforcés par la tension internationale sur le marché des médicaments (actuellement il existe une forte tension sur le marché des antipaludéens) et pourrait doubler l’épidémie de covid d’autres scandales sanitaires.
En Europe, l’Union européenne a démontré son impuissance à coordonner à la fois les efforts et les ressources de chaque État-membre. Bien au contraire l’absence de solidarité dans la dispense du matériel, de cohérence dans les mesures prises et le verrou budgétaire qui contraint depuis Maastricht les dépenses dans les services publics essentiels ont empêché toute prise en charge efficiente et transnationale de la pandémie. La question de la survie de l’Union européenne après la crise se pose désormais réellement : en particulier pour les pays les plus durement touchés, comme l’Italie et l’Espagne, et dont l’économie est déjà fragilisée de longue date par la monnaie unique et les contraintes budgétaires. Pour ces pays, une relance sans contrôle monétaire et sans contrôle budgétaire dans les standards de l’Union européenne actuelle, semble compromise et pourrait justifier un exit. Le bilan de l’UE est faible : après trois mois de pandémie, la seule mesure proactive de la commission européenne a été de récupérer les données téléphoniques des usagers européens – pour tracer les chaînes de contamination, après plusieurs semaines de circulation active du virus ? En refusant d’émettre des corona-bonds, qui permettraient aux Etats d’accéder à des taux d’intérêts plus faibles pour le remboursement de l’endettement lié à l’épidémie, l’UE est en train de creuser sa propre tombe. Cette faillite européenne risque de se traduire, ici comme ailleurs, par l’émergence de gouvernements populistes – qui, on l’a vu, ne garantissent pas une solution face à ce type de menace internationale.
Seule une gestion internationale de la crise, nourrie par l’allocation la plus efficace (et désintéressée) des ressources entre les pays, peut permettre de faire face à cette épidémie comme aux suivantes.
La nécessité du contrôle ouvrier
Alors que la crise pandémique rend nécessaires l’allocation planifiée des ressources, la réquisition en fonction des besoins, et la réorientation dirigée de la production, les extrêmes limites de l’action gouvernementale semblent atteintes avec d’émouvants appels aux industriels pour réorienter leur production et faire don de leurs masques aux services de l’Etat. Le gouvernement actuel apparaît tout à fait incapable de mener la politique industrielle conséquente indispensable pour faire face aux besoins immédiats. Cette gestion proactive de la production ne peut être mise en place que sur la base du contrôle et de l’expertise des travailleuses et des travailleurs eux-mêmes.
Chaque gouvernement a essayé de transiger avec le confinement de la population : les uns en mettant en place un confinement territorial qui n’a pas empêché la pandémie de se répandre (voire, l’a aggravée), les autres en misant sur l’immunité grégaire (au prix de la vie de milliers de citoyen·ne·s). En France, le gouvernement a repoussé les mesures les plus élémentaires (fermeture des universités, des bars) le plus tard possible afin de pouvoir tenir les élections municipales. Le confinement, solution de dernier recours dans chaque cas, apparaît comme l’effet de la pression de populations qui ne souhaitent pas contaminer proches et collègues en se rendant sur leur lieu de travail, et doivent s’occuper de leurs enfants déscolarisés.
Chaque jour pourtant, des milliers de travailleuses et travailleurs continuent de se rendre au travail : pour soigner des patient·e·s ou tenir ouverts les supermarchés, transporter des marchandises de première nécessité, produire des respirateurs et du gel hydroalcoolique – travaux essentiels – mais aussi pour produire des planches à voiles, de l’arsenal de guerre, des puces électroniques – travaux inessentiels. La continuité de la production dans les secteurs inessentiels met en danger leurs propres salariés et leurs familles, mais exerce également une pression sur les équipements de protection qui font défaut aux travailleuses et travailleurs du secteur essentiel. Face à cela, l’administration se refuse à toute mesure de dirigisme économique qui permettrait soit de réorienter la production des secteurs inessentiels vers la production de produits essentiels, soit de faire fermer les entreprises et de réquisitionner leurs stocks d’équipements de protection. En l’état, l’absence de dirigisme de l’administration d’une part, la continuité de la production inessentielle par le patronat local d’autre part s’apparentent à une mise en danger de la vie d’autrui. Alors que le gouvernement semble pris dans une véritable fuite en avant – qui pourrait entraîner à tout le moins la chute du gouvernement, voire celle des institutions démocratiques bourgeoises qui sont déjà en l’état démissionnaires – la seule manière de conjurer la catastrophe sanitaire est le contrôle ouvrier sur les moyens de production.
Face à la pandémie, une gestion internationale désintéressée de la crise et le contrôle ouvrier sur la production apparaissent non seulement comme des réponses adéquates, mais comme des nécessités vitales pour les populations.
3 thoughts on “Les nécessités à l’ordre du jour”