Retrouvez cet article dans le dernier numéro de notre magazine le « Jusqu’ici ».
Comme beaucoup des métiers de l’informatique, le jeu vidéo, métier « cool » et « moderne » est un milieu où les luttes syndicales se font rares. Les travailleur·euse·s, passionné·e·s par leur métier mais aussi inquiets de perdre un emploi difficile à retrouver doivent bien souvent se contenter de conditions de travail peu avantageuses – quand elles sont seulement légales. Néanmoins les travailleur·euse·s de ce milieu commencent à s’organiser et la lutte des classes retrouve progressivement ses droits au pays du capitalisme heureux.
Le jeu vidéo est une industrie composée de grandes structures pouvant réunir plusieurs centaines de travailleur·euse·s produisant d’imposantes productions vidéoludique (les célèbres jeux à très gros budgets «AAA») mais aussi de moyennes et petites voire très petites structures.
Les travailleur·euse·s rejoignent généralement ce métier par passion, avec l’espoir de participer à la création du jeu de leurs rêves, cependant l’industrie dans laquelle ils et elles évoluent est, elle, une industrie capitaliste structurée et hautement rationalisée où les logiques de production et la quête de profit provoquent des situations de travail et de production souvent bien éloignées de ce qu’ils et elles avaient imaginé.
Les pionnier·e·s du jeu vidéo étaient bien souvent des travailleur·euse·s en reconversion. Ils et elles ont trouvé une industrie jeune, quelque peu anarchique dans son organisation, parfois difficile mais pleine d’opportunités. Aujourd’hui, les développeur·euse·s, graphistes, scénaristes, sortent pour une grande partie des nouvelles écoles privées du jeu vidéo. Ils et elles trouvent une industrie mature, organisée, embrassant pleinement toutes les logiques du marché capitaliste, avec son lot de perspectives décevantes et ses conséquences néfastes.
Travailler dans une grande entreprise peut permettre d’être affecté sur des projets d’envergure au prix d’un travail souvent plus répétitif et moins valorisé, conséquence de techniques de management considérant les individus comme de simples engrenages de gigantesques machineries de production.
Concrètement les salarié·e·s feront face à un important turnover, des deadlines difficiles à tenir, très peu de liberté artistique et des heures de travail (souvent non rémunérées) qui s’accumulent, surtout dans les périodes dite de « crunch » (période d’intensification de l’activité pour rendre une tâche à une date précise) qui d’après une étude de l’International Game Developers Association concerne plus de 60% des travailleur·euse·s du milieu avec des durées de travail de plus de 50 heures par semaines pour 76% de ces personnes (41 % déclarent même avoir eux des crunchs de plus de 60 heures par semaines et 13% des plus de 70h). Plus de la moitié des personnes interrogées on affirmées avoir été en période de crunch au moins deux fois au cours de l’année. Ces périodes de crunch sont encore plus problématiques pour un grand nombre de femmes à qui la société patriarcale a affecté en plus la charge de s’occuper de la famille et des enfants.
Travailler dans des petites ou moyennes entreprises, plus tournées vers la prestation peut sembler un bon moyen d’éviter les dérives des plus grands centres de production, néanmoins les travailleur·euse·s n’échapperont généralement pas aux hebdomadaires heures supplémentaires non payées (très rapidement plus de 5 ou 6 par semaine) et à une pression accrue lors des périodes de fin de projet. À cela s’ajoute dans les petites boîtes les clients aux demandes aussi changeantes qu’exigeantes. Reste aussi la proximité plus importante de son patron et ce que ça implique de négociation salariale plus compliquée et d’attente implicite. il est vendredi soir ; les 5 heures supplémentaires non payées par semaine sont finies depuis plus de 25 minutes, le patron continue à pianoter sur son clavier, dehors la nuit tombe progressivement et les employé.e.s s’échangent des regards furtifs. Du coup, c’est bon maintenant, non ? Qui sera le premier à se lever de son poste entraînant tous les autres avec lui ?).
Alors que le jeu vidéo se dresse désormais comme une des industries du divertissement parmi les plus lucratives avec plus de 90 milliards de dollars de chiffre d’affaires mondial en 2016, les salaires pratiqués en France sont très inférieurs aux autres métiers du numérique et du développement. Pourtant ces salarié·e·s sont majoritairement très qualifié·e·s (master ou écoles spécialisées).
À l’heure actuelle les salarié·e·s du jeu vidéo n’ont pas encore développé de riposte à la mesure de l’exploitation qu’ils subissent. Faute à une très grande concurrence à l’embauche, un discours patronal auquel ils et elles croient encore (les habituels « ce n’est facile pour personne », « Le jeu vidéo c’est un métier de passionné·e·s, si tu ne l’es pas assez d’autres le seront » etc…) ainsi qu’une culture d’entreprise très présente, les salarié·e·s sont incité·e·s à voir leurs boîtes comme leur principale fierté et à sacraliser leur direction. S’additionnent aux problèmes d’exploitation salariale un sexisme et un racisme très présent et frappant comme une double sanction ces travailleur·euse·s.
Pourtant nous observons depuis quelques mois un réveil des travailleur·euse·s et une progressive envie de défendre leur propre intérêt ainsi que la valeur de leur travail. En septembre 2017 naissait le STJV, premier syndicat des travailleur·euse·s du jeu vidéo. Au début de cette année 2018 des salarié·e·s ont témoigné de leurs conditions de travail et de pression morale au sein de la société Quantic Dream. Enfin, une grève de la moitié des salarié·e·s de l’entreprise Eugen System a éclaté entre février et avril 2018 pour exiger après moult négociations infructueuses que la direction s’aligne enfin sur les règles de la convention collective à laquelle la boîte appartient (la syntec). Cette lutte continue désormais aux prud’hommes et ouvre de nouvelles perspectives syndicales et politiques dans cette industrie.