Foodora cesse ses activités en France en ce début d’automne 2018. En laissant sur le carreau des milliers d’employés sous un faux statut d’auto-entrepreneur. Cette filiale du groupe allemand Delivery Hero a pourtant empoché un milliard d’euros au premier semestre 2018. A cette occasion nous vous proposons de lire ou relire l’interview que nous avions publié dans le premier numéro de notre magazine le « Jusqu’ici » intitulé « livraison à vélo, la merde du futur »
Jusqu’Ici : Comment t’en es venu à bosser chez Foodora ?
Sami : Quand je cherchais du taf, ce qui est assez horrible, c’est que toutes les annonces que je trouvais c’étaient des jobs de livraisons ou VTC, Uber, etc. Les offres de ce genre se sont multipliées. A l’époque je cherchais un truc où y’a moyen d’être recruté rapidos, où le processus d’embauche est plutôt simple. Chez Foodora on te fout sur un vélo et si tu réussis à suivre une demi-heure un autre livreur pendant sa course t’as le taf. C’est une sorte de test. Si tu tiens le coup c’est bon.
Ils te fournissent un outil de travail ?
Ce qu’ils te donnent c’est vraiment peanuts. En fait ils te le donnent même pas. Ils te le confient contre caution. 150 balles. Y’a un casque, le sac, un chargeur de batterie externe pour que tu puisses suivre tes commandes sur ton téléphone et des conneries du genre. Le vélo c’est le nôtre. Moi je me suis endetté pour l’acheter.
Concrètement, comment ça marche ?
T’es inscrit sur une sorte de plate-forme de gestion de planning. Tu t’inscris sur des créneaux. Vu que t’es pas salarié t’es pas obligé de porter leur marque. Moi je la portais pas. Et deux/trois fois j’ai pris des réflexions des chefs parce qu’ils m’ont vu passer sans. Y’a plein de trucs qu’ils ont pas le droit de t’imposer… En vrai, comme ils ont le rapport de force : si ils veulent pas que tu bosses, si tu leur déplais, ils t’acceptent pas sur les créneaux auxquels tu t’inscris. Ils l’ont fait à deux/trois livreurs avec lesquels ils ont pu s’engueuler…
C’est pas du salariat déguisé ?
Si. Y’a pas de rapport d’entreprise à entreprise. Pas de négociation sur les conditions de rémunération. Ça change régulièrement. T’es payé bizarrement avec un fixe à l’heure majoré sur les conditions météo et un bonus sur le nombre de courses que tu fais. Le système de facturation est très flou. C’est eux qui t’envoient des factures pré-remplies : on est clairement dans le salariat déguisé.
C’est peut être possible de faire requalifier ça en CDI…
Y’a des livreurs à Paris, qui bossaient pour Take it easy – une boîte qui depuis a fait faillite, ils sont allés aux prud’hommes pour faire reconnaître que c’était du salariat déguisé mais ils ont été déboutés. Et les boîtes ont pris des dispositions. T’as pas de lien d’exclusivité. Une fois que t’es chez eux ils vont pas t’empêcher de bosser pour la concurrence…
«QUAND TU FAIS CE GENRE DE TAF TU TE METS À PENSER QUE BOSSER À MACDO C’EST DU LUXE»
Qu’est-ce que tu penses du statut d’auto-entrepreneur ?
C’est de la merde. Tu changes de régime social. J’ai perdu une partie de ma CMU. La caisse sociale des « indépendants », le RSI, ils sont pas doués et pas rapides et toutes les démarches sont compliquées. La CAF c’est le bordel, on te fait croire que c’est simple sauf que le RSI t’envoie tes déclarations hyper tard du coup tu peux pas faire tes démarches dans les temps. Concrètement j’ai perdu trois mois de CAF à cause de ça. Passer auto-entrepreneur sur un coup de tête c’est jamais une bonne idée.
Comment ça se passe avec les chefs ?
Dans cette boîte y’a beaucoup de turn-over. Tout le personnel d’encadrement, les ressources humaines, nos chefs, c’est des stagiaires. La comm’, le marketing, la gestion du recrutement ou l’informatique c’est des gens en école de commerce qui font des stages. Je vais pas les plaindre, c’est des gens ils ont la philosophie « connard ». Ils se font la main dans ce genre de boîte pour apprendre à être des connards… Foodora en plus c’est même pas rentable. C’est des financiers qui injectent de l’argent et qui cherchent à faire en sorte que le concept fonctionne un jour pour le revendre. C’est une économie fictive.
Qu’est-ce qui se passe si tu te blesses pendant une livraison ?
Rien. C’est tellement le bordel pour déclarer ça en tant qu’accident du travail qu’il vaut mieux passer par la sécu classique. La première semaine où j’ai bossé chez eux, un livreur a failli se tuer. Il a passé deux semaines à l’hôpital. Bien sur il avait pas de couverture sociale. Son vélo était ruiné. Les collègues ont organisé une collecte pour lui en repayer un. Et la boîte a peut-être donné 200 balles…
Les rapports avec les collègues, ça se passe comment ?
Ce qui est dur c’est que comme c’est un boulot où t’es mobile t’as pas d’endroit de sociabilité où tu peux rencontrer tes collègues. Le corps des livreurs est éclaté, tout le monde est dans une logique hyper individuelle. C’est à qui fera les livraisons le plus vite, le plus loin. Les algorithmes repèrent les bons livreurs en les suivant avec le GPS sur les cartes et leur filent des courses en fonction de leur performance. Et plus t’es bon plus t’as des courses longues. Ça fait péter des câbles à certains livreurs qui se retrouvent à faire genre 8 kilomètres.
T’es mieux payé dans ces cas-là ?
Non. C’est un boulot de sportif. La boîte joue là-dessus. Faut kiffer être sur un vélo sous la pluie torrentielle, la nuit, sur une route à contre-sens et il fait moins 10 degrés, tu rentre chez toi à 23h, tes habits sont complètement trempés mais la pizza est chaude… c’est un état d’esprit. Moi perso j’aime ça. Mais du coup la boîte en profite. T’es payé 5 ou 6 euros de plus. C’est limite du masochisme.
C’est pas franchement sécurisant…
Quand tu bosses dans ce genre de taf tu te mets à penser que bosser à Macdo c’est du luxe. Être préparateur de commande ou bosser en intérim c’est du luxe. Ça apparaît comme des boulots sécurisés, stables. Les détails changent en fonction des boîtes mais la dynamique est la même. C’est la merde du futur.
Propos recueillis par Inès
One thought on “Sami, ex-livreur foodora”