La bataille pour Kirkouk: une défaite pour le prolétariat

Lundi 16 octobre, les chars irakiens sont rentrés dans la ville kurde de Kirkouk, menaçant sérieusement les espoirs d’indépendance pour le Kurdistan d’Irak.

La ville de Kirkouk se situe à la frontière sud de la zone aujourd’hui officiellement administrée par les autorités kurdes ; à 180 kilomètres au sud de Mossoul et 100 de Erbil, la capitale kurde. La région de Kirkouk est disputée par les indépendantistes kurdes et les nationalistes arabes depuis plus de quarante ans. Auparavant, sous l’empire ottoman, Kirkouk était rattachée à la province de Mossoul, qui devint un enjeu majeur d’un conflit diplomatique entre le Royaume-Uni et la Turquie, suite à la première guerre mondiale et à la guerre d’indépendance turque. La province fut finalement attribuée au jeune royaume d’Irak après une décision de la Société des Nations en 1926, sous influence britannique, en reversant une petite partie des bénéfices pétroliers à la Turquie pour 25 ans. Il s’agit de l’un des plus grands centres pétroliers d’Irak (40% du brut irakien et pas moins de 4% des réserves de pétrole mondiale), le contrôle de ce territoire est donc un enjeu crucial dans le conflit qui oppose indépendantistes kurdes et les nationalistes arabes. Malgré le peu de ressources statistiques et les différentes tentativ es du gouvernement irakien pour opérer des déplacements de population, les kurdes y sont aujourd’hui majoritaires. En 1957, l’un des seuls recensements officiels fait état d’une nette majorité kurde dans la région (environ 48% de la population totale). En 1970, alors que les deux partis indépendantistes PDK et UPK signait un accord avec Saddam Hussein, un recensement avait été prévu pour décider du sort de Kirkouk. Celui-ci n’aura jamais lieu, le gouvernement irakien ne souhaitant pas se défaire d’une telle manne pétrolière.

Après avoir foulé au pied cet accord, Saddam Hussein a fait face à pas moins de quatre insurrections kurdes entre les années 70 et le soulèvement de 91 qui furent violemment réprimés – répression qui atteignit son apogée avec l’Anfal de 1988. Le président irakien a mené en parallèle une vaste entreprise d’arabisation de la région – véritable épuration ethnique – en chassant dès le début des années 80 toutes les populations non arabes et en incitant les populations arabes du sud à venir s’installer dans la région de Kirkouk. Il s’attaqua aussi aux différents conseils ouvriers constitués à partir de 1991, qui menaient un combat visant à dépasser la question nationaliste (kurde ou arabe) pour défendre les intérêts de leur classe. Si cette politique de la terreur a eu une certaine efficacité, les kurdes se sont réinstallés assez massivement dans la région après la chute de Saddam Hussein en 2003.

Si le soulèvement de 91, à la suite de la guerre du Golfe, marque un premier pas essentiel pour les Kurdes (qui administraient déjà de fait une partie du Kurdistan d’Irak), c’est à la chute de Saddam Hussein que le territoire a obtenu un statut spécifique d’autonomie, à l’exclusion toutefois de la région de Kirkouk, véritable eldorado pétrolier. Le rattachement de cette région au Kurdistan devait faire l’objet d’un référendum depuis 2007. Référendum que le gouvernement irakien, soutenu par un nombre important d’autres pays (la Turquie en tête), est parvenu à repousser jusqu’au 25 septembre dernier.

Sept ans après la fin de l’échéance, en 2014, alors que l’EI mène une offensive sur toute l’Irak, l’armée irakienne fuit Kirkouk laissant aux peshmergas (les soldats kurdes) la seule responsabilité de protéger la ville des djihadistes. Deux ans plus tard, ce sont encore eux seuls qui ont défendu la ville face à une nouvelle menace de l’EI. Après avoir administré et contrôlé la région pendant plus de trois ans, les autorités kurdes ont décidé la tenue d’un référendum sur l’indépendance du Kurdistan d’Irak le 25 septembre. Référendum au résultat sans appel puisque 92.73% des électeurs ont appuyé l’indépendance du Kurdistan. A ces velléités indépendantistes, le gouvernement irakien a décidé de répondre par la démonstration de force militaire et s’assurer ainsi de recouvrer la mainmise sur ce territoire riche et convoité. Après un premier ultimatum au gouvernement kurde pour se retirer de la ville de Kirkouk, l’offensive militaire a débuté ce lundi 16 octobre. Les peshmergas de l’UPK qui contrôlent Kirkouk, ont opéré une « retraite stratégique » avant l’entrée des troupes irakiennes dans la ville. Cette retraite s’explique en réalité par l’opposition politique de l’UPK au PDK de Barzani (le président Kurde). L’UPK demandait un report du référendum en accord avec le président irakien Fouad Massoum (lui-même membre de l’UPK). Il désire aussi laisser la responsabilité de la défaite au PDK et à Massoud Barzani, ce dernier étant au pouvoir alors que son mandat légal est terminé depuis 2013. L’élection présidentielle a pu être repoussée par Barzani, qui aura lieu en même temps que les élections législatives le 1er novembre prochain.

Seuls les combattants du PKK, quelques anciens peshmergas et des habitants venus prêter main forte sont restés sur place pour tenter de défendre la ville de Kirkouk. La résistance militaire s’est donc trouvée très faible et peu de combats ont été dénombrés. Une soixantaine de blessés et de morts sont néanmoins à déplorer. Les militaires irakiens soutenus par des milices chiites ont ainsi aisément repris le contrôle d’un champ pétrolier et d’un aéroport puis de l’ensemble des infrastructures de la ville. Dans le même temps, le gouvernement iranien aurait fermé trois postes frontières au nord de l’Irak, et la Turquie son espace aérien avec le Kurdistan. Les combattants kurdes se trouvent donc fort isolés, les quatre pays sur lequel s’étend le peuplement kurde agissant de concert pour s’assurer qu’aucune revendication territoriale ne puisse aboutir et cherchant immédiatement à affaiblir les positions kurdes. L’offensive militaire irakienne se poursuit et commence même d’ores et déjà à grignoter des territoires conquis de haute lutte depuis des décennies.

Dès la reprise de contrôle des territoires occupés par Daesh, les gouvernements irakien, iranien comme turc retrouvent leurs vieux ennemis : les kurdes. Ceux-là même qui ont combattu et imposé des défaites fondamentales dans le recul général de l’armée de l’EI se retrouvent désormais acculés. Aucun répit ne semble possible et les puissances régionales connaissent leurs intérêts sur le territoire, notamment quand il s’agit du contrôle de ressources naturelles dont l’économie de l’ensemble de la région dépend. C’est bien ce contrôle qui détermine les rapports de force géopolitiques, bien moins que l’expression démocratique que serait le référendum. Avec la perte de Kirkouk, c’est tout l’espoir d’indépendance et de paix qui est anéanti.

A moins d’une contre-offensive kurde, c’est l’autonomie de l’ensemble du Kurdistan d’Irak qui est aujourd’hui menacée, avec le soutien de la plupart des pays occidentaux. Au-delà de la question de l’indépendantisme kurde, c’est aussi l’égalité des droits des habitants, quelle que soit leur nationalité ou leur confession, qui est en jeu : dans la confrontation entre les partis indépendantistes kurdes et le gouvernement irakien, la vie des minorités religieuses ou des personnes refusant ce double choix peut être mise en danger. C’est la perspective du Parti Communiste Ouvrier d’Irak et du Kurdistan à ce sujet que nous soutenons : les intérêts du prolétariat irakien, qu’il soit arabe, kurde, yézidi, chrétien, sunnite ou chiite, n’ont que peu à gagner de cette logique mortifère menée par des gouvernements qui n’ont aucun scrupule à réprimer ces luttes.

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